U-2 Dragon Lady
De Lockheed

Caractéristiques du U-2S

Type : avion de reconnaissance stratégique

Moteur : un réacteur General Electric F118-GE-101 de 8 620 kgp

Dimensions Masses
envergure
longueur
hauteur
surface alaire

31,50 m
19,23 m
4,93 m
93,03 m²

maxi au décollage
carburent

16 850 kg
11 167 l

Performances
vitesse maxi
plafond opérationnel

856 km/h
+ 24 000 m

distance franchissable maxi

12 000 km

 

U-2S dans le mistral

Alors que le soleil hivernal descend à l'horizon, une Chevrolet Camaro 5,7 litres, bleue, attend moteur au ralenti et gyrophares allumés. Devant le conducteur, la piste d'Istres déroule ses quatre au cap 330. Au sud, une longue silhouette effilée se rapproche silencieusement. Ca y est ! Elle vient de passer le seuil de la piste à 10 pieds et 80 nœuds (148 km/h) précis. Démarrant en trombe, le Camaro vient se caler exactement dans l'axe du fuselage, adaptant sa vitesse à celle du grand planeur noir. Au volant, un pilote d'U-2 guide son collègue par radio pour l'aider à garder les roue parallèle à l'axe de la piste, tout en lui annonçant la hauteur restante. Lorsque l'U-2S s'immobilise, le skid (patin) en bout d'aile gauche racle le tarmac. Arrivent alors les mécaniciens dans un second véhicule, amenant les balancines de voilure ou pogo qui sont aussitôt réinstallées afin de permettre à l'avion de l'avion de rouler, toujours suivi par la Chevrolet.
Six jours sur sept, cette routine se répète pour chacune des deux missions quotidiennes menées au-dessus de l'ex-Yougoslavie par le 99th RS de Beale AFB au travers de détachement de trois avions et de cinq pilotes qu'il maintient à Istres depuis décembre 1995.
Si l'avenir de l'U-2 a été un temps remis en cause par la chute du mur de Berlin, les opérations au-dessus de l'Irak ont rapidement mis en évidence sa souplesse d'emploi en temps réel ainsi que la plupart des satellites de reconnaissance.
Le détachement d'Istres opère sur la Bosnie, ce qui permet de gagner presque deux heures de vol par rapport au site de Fairford, en Grande-Bretagne, où les U-2 étaient auparavant basés. Les missions de reconnaissances, ordonnées exclusivement par le DARO (Defense Airborne Reconnaissance Office), sont de trois ordres :

 Recueil d'informations Sigint grâce aux système Senior Spear (Comint) et Senior Ruby (Elint) intégrés dans les nacelles de voilures ;

 Imagerie radar au moyen de l'ASARS 2 à ouverture synthétique haute résolution logée dans le nez ;

 Photographie verticale, panoramique et oblique à longue distance grâce aux caméras argentiques jour ou infrarouges montées dans la Q-bay, derrière le cockpit ou au système électro-optique SYERS installé dans le nez.

Avec ses taxiways et ses pistes larges, Istres s'est révélée la base française la mieux adaptée pour recueillir les U-2. D'autant plus qu'il a été donné aux Américains la possibilité de louer à Dassault le gigantesque hangar qui servit au montage du Mercure. Avec ses 32 m d'envergure, le Dragon Lady n'est en effet pas une machine facile à caser.

De l'U-2R à l'U-2S : L'air Combat Command dispose d'une trentaine de U-2 monoplace ainsi que de quatre biplaces. Depuis l'abandon de la dénomination TR-1 (réservée aux appareils affectés à l'USAF), tous les avions étaient redevenus des U-2R. En 1994, ces derniers commencèrent à recevoir un moteur General Electric F118-GE-101 à la place du Pratt & Whitney J75 à l'entretien coûteux – réacteur qui équipait déjà le F-106. Initialement étudié pour le B-2, le nouveau moteur pèse 590 kg de moins que l'ancien, tout en offrant une poussée identique et une consommation inférieur de 15%. Quand on sait que chaque kilo gagné se traduit par 60 cm de plafond de vol en plus, le gain est appréciable. Cette remotorisation a été complétée par l'installation d'un nouveau pilote automatique et par une mise au même standard de tous les avions afin qu'il soit capable d'embarquer l'ensemble des capteurs et équipements optionnels – sortira de l'usine Lockheed à Palmdale en 1998. Les appareils modifiés pourraient rester en service encore vingt-cinq ans, mais les plans actuels de l'USAF prévoient de les maintenir en ligne pendant quinze ans seulement, puis de passer aux drones.
Les améliorations actuellement à l'étude portent sur l'adaptation de capteurs multispectraux, sur la possibilité d'analyser les images ASARS à bord et sur l'universalité de la transmission des données recueillis - déjà colossale sur l'U-2, véritable démonstrateur du concept de Global Knowledge/Global Power. Quant à l'autoprotection de l'appareil de l'appareil, elle devrait être encore accrue grâce à des leurres tractés par fibres optiques en cour d'expérimentation chez Lockheed Martin Sander.

Gestion du temps réel : les trois U-2S stationnés à Istres sont configurés selon les trois options de base : Sigint, l'ASARS 2 et les photos. Au moins l'un d'entre eux est équipé, sur le dos du fuselage, de la très caractéristique antenne satellite qui existe en deux versions : Senior Span pour les données Sigint et Senior Spur pour les données radar de l'ASARS 2. Les modes de transmission classiques de l'avion étant limitées à la portée optique, la liaison par satellite permet une transmission mondiale.
Pour les missions sur la Bosnie, une organisation spécifique a été développée. Les données sont spécifique a été développée. Les données sont envoyées vers une station Mobile Strecht à Rimini, sur la côte italienne, qui les relaie vers Beale AFB où une station jumelle les analyse en temps réel, puis ré-émet les informations vers les centres de commandement de l'Otan en Italie, à Vicenza et à Naples. Ce cycle est suffisante rapide pour permettre de réorienter le vol de l'U-2S en temps réel.
Ce système a été testé lorsque le F-16 du capitaine O'Grady fut abattu par un missile serbe au-dessus de Banja Luka en juin 1995. L'émission du radar Straight Flush du SA 6 fut détectée et localisée par un U-2R en mission, puis transmise et traitée à Beale. Moins de 20 minutes plus tard, l'information apparaissait sur les écrans tactiques de la 5th ATAF à Vicenza et sur deux Awacs couvrant la zone, soit 3 minutes avant la destruction du F-16 !

Missions hors du commun : Chaque sortie U-2 est une mini mission spéciale dont l'élaboration démarre plus de 24 heures à l'avance. En fonction des objectifs assignés et des capteurs utilisés, le profil de vol est optimisé afin de recueillir le maximum d'informations. La préparation s'effectue à deux pilotes, un Partner pilot suivant toute la mission en double. Avant le départ c'est lui qui procède au check extérieur de l'avion, puis qui suit celui-ci avec la Camaro. Après le décollage, il rejoint la salle tactique du détachement et reste en liaison radio permanente par HF avec son coéquipier en vol. Assis au calme, il peut ainsi le conseiller utilement durant toute la mission, avant de le reprendre en guidage visuel pour l'atterrissage.
Une heure avant le vol début le cérémonial de l'habillement. Le pilote revêt la combinaison stratosphérique qui pèse 16 kg et comporte pas moins de sept épaisseurs. C'est quasiment une tenue d'astronaute qui le protège des rayonnement et lui permet un éjection à 70 000 pieds. Chaque pilote en possède 2, à 200 000 $ pièce ! Il est ensuite placé à la pression scaphandre du vol, équivalant à une altitude de 29 500 pieds, d'où une fatigue certaine après neuf heures, voire parfois douze, passées dans l'étroit cockpit. Il faut ensuite deux jours à l'organisme pour récupérer.
Une fois à bord, le pilote peut utiliser la roulette arrière pour se diriger au sol. Au décollage, il pousse la manette sur plein gaz et n'y touche plus de tout vol – il ne la reprendra qu'au retour, lorsqu'il passera 30 000 pieds en descente. Il garde 160 kts jusqu'à 52 000 pieds, ce qui explique la pente de montée fabuleuse de l'appareil au décollage. Les pogo tombent automatiquement. Sauf en août 1995 où un U2-R s'est écrasé suite à un non-décrochage d'une balancine : en essayant de s'en séparer, le pilote a accroché l'aile dans un obstacle provoquant le déséquilibre de l'avion. L'altitude de travaille normale se situe vers 70 000 pieds. Elle augmente au fur et à mesure que l'avion s'allège en carburant. Si le rayon d'action d U-2 dépasse les 4 000 NM, sa vitesse n'a, elle, rien de faramineux puisqu'elle s'établit à Mach 0,65. La sécurité de l'appareil ne réside ni dans sa relative discrétion radar, ses puissants moyens de guerre électronique et, bien sûr, son altitude. En fait, en régime de croisière, le domaine de vol de l'U-2 se restreint, le Mach maxi rejoignant la vitesse de décrochage en laissant seulement quelques nœuds de marge. Avec la manette sur pleins gaz, le pilote ne peut jouer que sur les aérofreins et sur l'altitude pour adapter sa vitesse. La seule chose que l'U-2 ne peut pas faire, c'est pénétrer un territoire défendu par des missiles sol-air ou une aviation de chasseurs moderne ; Sinon, il peut aller partout et quasiment tout voir, quelles que soit les conditions météo.
La navigation, qui s'effectue désormais principalement a GPS, se contrôle à vue. Le drift sight installé sous le cockpit offre un vision sur presque 360° et permet d'adapter les visées sur les objectifs ponctuels ; Pour les missions sur la Bosnie comme pour celles de l'Irak, l'USAF privilégie les vols de jour, plus faciles à gérer en cas de déroutement ou de retour prématuré au terrain. En dehors de l'utilisation des capteurs, le pilote doit jongler entre la diffusion des informations vers les stations sol, les satellites et le dialogue en HF avec la salle d'opérations. Au retour, la descente en plané s'amorce à plus de 300 km du terrain ! En passant 30 000 pieds, il reprend la manette de gaz, puis débranche le pilote automatique pour vérifier les réponses de l'avion au manche. Il lui faut alors réaliser les transfères de carburant pour équilibrer la machine. Commence ensuite la phase d'approche qui se termine avec l'arrondi à exactement 2 pieds du sol, guidé par radio. Gare alors aux coups de manche latéraux qui pourraient avoir des conséquences dramatiques vu l'envergure de la bête. Il est impératif de toucher les deux points, puis de maintenir l'avion en ligne de vol jusqu'au moment de poser délicatement de bout de l'aile au sol. L'atterrissage est principale cause d'élimination des pilotes en formation. A l'inverse, un pilote adroit parvient à maintenir l'appareil droit à l'arrêt, avec une vingtaine de nœuds de vent de face, jusqu'à la remise des pogo par la mécanique. Dès lors, il ne lui reste plus qu'à rentrer prudemment au parking où traditionnellement une boisson bien fraîche – bière ou coca – l'attend.
A Istres, le mistral vient souvent compliquer les choses, l'U-2 étant limité à 15 nœuds de vent de travers. Aussi, près de 25% des mission sont annulées pour cette raison. Il n'empêche que la base est très appréciée tant pour les avantages opérationnels qu'elle offre que pour son climat ensoleillé. Mais avec les travaux qui devraient démarrer sur la plate-forme au début de l'été, les U-2S vont certainement retrouver leur ancienne base de Fairford, à moins qu'ils ne s'installent à Aviano, en Italie. Gageons que ce départ ne sera que temporaire et que l'on reverra par la suite la longue silhouette noire se présenter silencieusement en longue finale sur la BA 125. Moins médiatique que ceux basés à Chypres ou en Arabie Saoudite, qui opèrent sur l'Irak, les U-2S du détachement d'Istres continueront d'ici là à couvrir la zone de l'ex-Yougoslavie avec la même efficacité.

(article paru dans Air Fan n°232 de mars 98, écrit par Eric Desplaces et Philippe Roman)


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